Enseignement : relire le psaume 51

Par Louis-Michel Broders, ex-coordinateur régional Nord de Fraternité Pentecôte, d‘après le livre de Thérèse Glardon :

“Le Spirituel au cœur de l’existentiel, Ces Psaumes qui nous font vivre”

Le psaume 51 (50) aurait-il une autre visée que celle d’implorer la pitié d’un dieu courroucé par le double péché d’adultère, commis par David avec Bethsabée, épouse d’Urie le Hittite, et de meurtre, celui de ce dernier perpétré sur injonction royale ? Ce psaume est-il une « demande de pitié envers un dieu réclamant justice », comme il est souvent présenté ? À telle enseigne qu’il est fréquemment proposé dans une démarche de demande du sacrement de pénitence !

Pénitence, le mot est lancé ! Y aurait-il quelque chose à faire pour se rattraper, apaiser la colère d’un dieu assoiffé de vengeance, tel que la Thora nous présente la Loi du talion en 3 versets (Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21) : « Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied » ?

La réponse nous est donnée en parcourant le livre de Thérèse Glardon (professeure d’hébreu biblique à la Faculté de Théologie de Lausanne) : Le Spirituel au cœur de l’existentiel, Ces Psaumes qui nous font vivre (Éd. Ouverture ; 2e édition, 2016).

L’analyse de l’auteure est des plus surprenantes (pour moi !) ; de surcroît, encourageante pour notre vie quotidienne de chrétien du XXIe siècle. Laissons-nous guider par ses commentaires issus de l’hébreu biblique, elle qui a voulu respecter tant la lettre que l’esprit du texte.

Toute interprétation peut être discutée, il n’empêche, celle-ci donne un coup de fouet bienfaisant à nos enfermements, issus de nos culpabilités maladives et de nos enseignements erronés.

Un détail qui m’a réjoui à la lecture du texte : de nombreuses références font mention de Marc Girard, prêtre catholique au Canada et exégète spécialiste hébraïque des psaumes1, nous sommes donc dans l’Unité !

Notre parcours (celui de Thérèse Glardon !) nous permettra de considérer la richesse de ce psaume 51 et les conséquences qui en découlent.

L’auteure pose successivement les points suivants :

1) Est-ce un psaume de pénitence ?

2) Effacer, laver, purifier : un pardon inconditionnel.

3) Et le péché, c’est quoi au juste ?

Le péché n’est pas ce que l’on pense; une notion responsabilisante de la faute; c’est la dimension relationnelle qui compte.

4) Une croissance dans le discernement

5) Une création nouvelle : recréation, devenir témoin, évangélisation…

6) En guise de conclusion

7) et j’y ajoute quelques remarques personnelles.

1. Est-ce un psaume de pénitence ?

Dans l’univers religieux chrétien, la pénitence était, est encore, une peine imposée au pénitent… combien de fois ai-je entendu à la fin d’une confession : « Comme pénitence, vous ferez ceci, vous direz telle prière… ». Et je me retirais heureux d’être absous, mais avec la crainte ou la certitude inavouée (en moi ?) de recommencer le même péché… en fait une culpabilité insidieuse risquait de pénétrer mon cœur à mon insu. Je n’avais pas saisi toute la richesse de la démarche entreprise et surtout intégré son sens profond.

En hébreu la notion de punition/repentance n’existe pas, et l’emploi du verbe shouv est un appel à revenir à Dieu. La pitié qu’invoque le mot Miserere en début de psaume, dans sa version latine, s’est colorée au fil du temps d’une notion de lourdeur lugubre, alors qu’en réalité le psalmiste implore la miséricorde (la compassion des entrailles) du Seigneur.

Le verset 7 : « Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère » ne risque-t-il pas aussi, en cas de mauvaise traduction, de nous entraîner davantage vers le bas ?

En regardant plus en détail le psaume 51, on s’aperçoit que la mention du péché n’apparaît que pour en demander ou en affirmer le pardon ! « Tout le reste n’est que l’expression d’une souffrance existentielle! »2

Ce qui est mis en avant en tout premier lieu, c’est la miséricorde de Dieu comme elle a été révélée à Moïse en Ex 34, 6 : Le Seigneur est compatissant (raHoum), plein de la tendresse d’une mère envers son enfant.

L’auteure du livre cite Daniel Lossky (théologien orthodoxe) qui affirme : « À l’origine de la création il n’y a rien d’autre qu’un débordement d’amour de la part de Dieu ».

Il n’est pas question ici de nier toute culpabilité, ni proposer « une grâce à bon marché », mais de prendre simplement conscience d’excès néfastes, depuis des siècles, qui ont caché le vrai visage d’un Dieu empli d’une tendresse et d’un ineffable amour pour sa création et pour chacun de nous…

« Ainsi dès le début, le Psaume s’inscrit dans un écrin relationnel de pur amour. Le texte s’ouvre par les mots : Accueille-moi… dans ta bonté… ta tendresse ! Puis le verset 2 déjà précise les circonstances de cette demande, en indique d’emblée la direction : accepter le fait que je suis accepté dans mon entière in-acceptabilité.3 »

Il nous reste ensuite le libre choix de nous laisser prendre au filet de l’amour miséricordieux, patient, plein de bienveillance, de tendresse… et d’accepter de nous laisser bercer dans ce flot régénérateur, malgré tout orgueil culpabilisant éventuel.

« Et la vraie faute à reconnaître, ne serait-ce pas d’avoir ainsi maculé au cours des siècles ce visage d’infinie tendresse et d’ineffable amour du Dieu si humble qui se présente à nous ?4 »

2. Effacer, laver, purifier : un pardon inconditionnel

Pas d’aveu préalable au pardon, nul besoin de sacrifice… une demande : que mes torts soient effacés (v. 3).

Dans la suite les v. 4, 9, 11 : lave-moi, purifie-moi, efface toutes mes fautes se retrouvent en Is 44, 22 : J’efface tes révoltes comme des nuages, tes péchés comme des nuées. Reviens à moi, car je t’ai racheté.

Là encore la grâce est première et la comparaison avec les nuages (de la vie) pointe l’évidence pour tout un chacun d’épreuves à traverser, qui se verront traitées comme les nuages balayés par le souffle bienfaisant de Dieu, à la mesure de la foi du croyant.

Les termes « laver, purifier » renvoient aux sacrifices rituels, mais dans le contexte du psaume, il s’agit d’une purification de l’être intérieur, et seul Dieu peut l’offrir : c’est un don à recevoir humblement.

C’est Dieu qui lave, c’est lui qui purifie (v. 4, 9) et dans le texte hébreu original ces 2 verbes sont précédés de la préposition loin de qui révèle, s’il en était besoin, la distance hors de la vue du tort effacé (v. 3) : Tu as jeté, loin derrière toi, tous mes péchés (Is 38, 17), Tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! (Mi 7, 19).

Si nos fautes sont mises à distance, elles sont donc réellement pardonnées, et nous pouvons alors les évoquer sans culpabilité régressive.

3) C’est quoi, le péché ?

Le péché n’est pas ce que l’on pense

Depuis le début on ne parle que de « péché »… mais pour l’hébreu biblique, c’est quoi le péché ?

Alors, surprise de taille, le péché, simplement une donnée de l’existence comme la mort, fait partie des limites de la condition humaine, bien loin d’un « glissement vers un degré inférieur d’existence »5.

Alors la bonne interprétation du v. 7 : Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère serait plutôt un constat : « J’y baigne dès ma plus tendre enfance… tout petit, je suis tombé dans cette triste marmite ! »6

N’allons pas imaginer non plus la faute de l’acte sexuel, Dieu n’a-t-il pas ordonné en Gn 1, 28 : « Soyez féconds et multipliez-vous » !

Malheureusement nul n’est à l’abri de sentiments de culpabilité (qu’il serait bon de vouloir guérir), dès la plus tendre enfance, sans relation directe avec une faute éventuelle.

Une notion responsabilisante de la faute

Voyons de plus près ce que renferme le terme de « faute » dans la Bible hébraïque. « Le premier mot : tort (pèsh’a) désigne la « transgression du droit de l’autre » et renvoie à la violation des droits d’un individu ou d’un peuple en son entier. Si l’histoire d’une faute sous-tend une grande partie de la Genèse, ce n’est pas la prétendue « faute originelle » de Genèse 3, mais bien, dans le roman de Joseph (Gn 37-50), le tort que lui font ses frères.7 »

Le terme de « faute » (‘âvon) vient d’une racine tordre ; il fait davantage allusion à un mal-être intérieur dont nous sommes victime ou auteur (Ps 65, 4). Ce mot est repris de la même façon à chaque fois qu’Israël dans sa révolte rompt l’Alliance avec Dieu (Os 7, 13 ; 8, 1 ; Jr 2, 8). La faute consiste donc ici dans la rupture d’alliance unilatérale d’Israël envers l’amour divin, fidèle et constant, évoqué au v. 3 : « Accueille-moi avec bienveillance, ô Dieu, dans ton fidèle amour ».

La faute a toujours une origine humaine identifiée (personnelle ou communautaire) ainsi qu’une victime du même ordre.

Israël a été de tout temps sensible aux conséquences de fautes individuelles sur la collectivité. Et « dans la conscience juive, la responsabilité de chacun est engagée vis-à-vis de soi, des autres et de l’univers. »8

Dans le cas présent, le roi est mis sur le même plan qu’un simple citoyen, et ses actes répréhensibles auront des conséquences sur la vie de l’enfant à naître…

La faute a des conséquences qui sont lourdes à porter (Lv 17, 16 ; 20, 17), mais c’est Dieu qui porte la faute et donc l’enlève, l’emporte et lui seul peut l’accomplir, comme si cela nous était impossible et que nous n’avions même pas à nous en charger ! (Ex 34, 7 ; Nb 14, 18 ; Os 14, 3 ; Ps 85, 3).

Pas de notions de « dettes » à rembourser face à un débiteur impitoyable… pas un « avant » et « après » Jésus ! Importante prise de conscience à recevoir.

Le mot péché (Hâta’ : manquer une cible9) vient du vocabulaire du tir à l’arc ou à la fronde (Jg 20, 16) et signifie alors manquer à Dieu ou au prochain. Le péché (la faute) serait simplement une rupture de relation sans notion d’ordre moral.

Les mots tort, faute et péché se remarquent au psaume 51, mais on peut noter l’absence du plus grave, l’impiété, qui exprime un choix de couper la relation de paix avec Dieu, en demeurant troublé, agité à cause de sa faute.

Le couple mal-malheur

Tous ces termes employés sous-entendent aussi des conséquences négatives, non pas d’abord d’ordre moral, mais plutôt un manque, un état malheureux… : « Si tu pèches, quel tort fais-tu à Dieu ? (Jb 35, 6). C’est plutôt à l’humain que tu fais tort, à toi-même ». Preuve en est le don de la Thora pour obtenir une vie heureuse, personnelle et collective.

Ce vocabulaire n’a donc aucune connotation juridique ou culpabilisante, mais met en lumière la responsabilité individuelle de nos actes dans la recherche du bien individuel et commun.

Le psaume 51 peut se classer dans la catégorie des psaumes de plaintes et de souffrances, sans rapport avec l’aveu des fautes, contrairement à la littérature plus tardive des amis de Job.

Une désaliénation

On chemine alors jusqu’au v. 5 dans lequel le psalmiste reconnaît enfin sa faute. Aux versets précédents, il s’est littéralement réfugié dans la miséricorde infinie de Dieu (imaginons un instant la scène du roi David posant sa tête sur le cœur du Père, comme le fils prodigue dans le tableau de Rembrandt) ; c’est à partir de là que le psalmiste « connaît » sa faute. Dépouillé de toute culpabilité malsaine, au seul contact du cœur de Dieu son Père, il prend alors objectivement conscience de ses errements, en homme libre et responsable, et il peut enfin entrevoir une nouvelle étape dans son cheminement personnel.

La reconnaissance de son péché, le remords bénéfique qui en est la conséquence permet à son auteur de prendre le recul nécessaire devant le Seigneur et de compter sur le rétablissement divin : « Oui, mes torts, moi je les (re)connais » (v. 5a).

Le mot moi (‘ani) est une redondance qui insiste sur la maturité de celui qui se reconnaît ayant dévié du droit ; simultanément cette reconnaissance lui permet de prendre du recul par rapport à l’acte commis en coupant littéralement tout lien avec cet acte, lui permettant de recevoir la distance libératrice bienfaisante… oui, la faute est contingente de la condition humaine, sans plus !

Manière d’éviter tous les faux-fuyants habituels par lesquels nous cherchons tous les moyens de nous trouver de bonnes raisons à nos actes mauvais, en cherchant à en partager la responsabilité avec celui qui a été blessé…

Et la suite du verset 5b : « mon péché est constamment en face de moi » ne veut pas alimenter une obsession maladive, mais selon le sens de la préposition « en face de » (néghèd), exprime le recul opéré par la reconnaissance objective de la faute commise.

La fausse culpabilité est comme un refus de la limite humaine, alors que le choix d’entrer dans un processus de progrès nous est donné dans l’accueil inconditionnel de l’autre, de l’Autre : « C’est dans ma relation à toi, à ta personne que j’ai péché » (v. 6a).

En remontant la pente pour aller se nicher dans les bras d’amour de Dieu, le psalmiste ne le fait aucunement par convention religieuse, mais à partir d’une totale confiance en l’accueil amoureux qui lui sera réservé.

C’est la dimension relationnelle qui compte

Dans les circonstances du psaume 51, le reproche adressé à David est davantage celui d’avoir négligé le pauvre en lui dérobant ce qu’il avait de plus précieux, plutôt que l’adultère et le meurtre commis. Et ses tentatives dévoyées de dissimulation face à Urie mettent en pleine lumière sa dureté de cœur (2 S. 11). Dès qu’il la reconnaît (2 S 12, 6), il s’achemine vers la pleine reconnaissance de ses actes et de leur réalité, s’en affranchit par une liberté retrouvée (Jn 8, 32) en Dieu qui la fait passer (2 S 12, 13).

Une fois mis au grand jour, nos torts ne peuvent qu’être effacés : « Dès que j’ai dit : Je ferai connaître à Dieu mon tort, toi tu as ôté ma faute » (Ps 32, 5).

La justice justifiante

La mention « j’ai fait ce qui est mal à tes yeux » (v. 6) montre bien une prise de conscience dans un dialogue entre personnes, et non une attitude courbée attendant une justice punissante. La justice de Dieu n’est pas crainte du pécheur, car elle est toute miséricorde et tournée vers le salut. Il s’agit ici d’une justice de grâce et d’un jugement salvifique.10

Cette justice est la réponse aux demandes des premiers versets : « lave moi, purifie-moi, efface… » (v. 3 -6).

4) Une croissance dans le discernement

« Voici, ce que tu aimes et veux, c’est (mettre) la vérité au fond du cœur » (v. 8a). La vérité a été comprise par les rabbins comme la véritable foi qui demeure intacte dans le secret de l’être et qui habite tout humain. C’est à cela que Dieu regarde. En ce sens, la vérité n’est pas le contraire du mensonge, mais une base intérieure sûre et solide sur laquelle je peux m’appuyer…

« Au plus secret de moi-même, tu me fais connaître la sagesse » (v. 8b). La prise de conscience de la responsabilité personnelle est un processus de maturation, synonyme d’acquisition d’une sagesse du cœur.

Une fois que j’ai pris connaissance de mes torts (v. 5a), Dieu me donne de prendre connaissance de la sagesse (v. 8b).

Le long chemin intérieur pour parvenir à cette connaissance progressive reste secret, le seul guide dans ce parcours est Dieu ; c’est ce qu’on appelle le discernement, choix intérieur dicté uniquement par une conscience réfléchie, dévoilée progressivement, de ce que Dieu attend de nous.

Le chemin passe par une descente au profond d’un cœur mouvant blessé que Dieu veut guérir, en lui faisant expérimenter un amour solide libérateur.

C’est le chemin de toute une vie qui alterne entre avancées et reculs comme les mettent en lumière les v. 6 à 11, pour passer de : « se reconnaître coupable » à « devenir innocent. »

Et la progression privilégie, plutôt que de chercher la faute, de chercher ce qui est bon et bienfaisant : « Éprouvez toutes choses, retenez ce qui est bon » (1 Th. 5, 21), pour finalement aboutir à l’allégresse et la joie (Ps. 51, 10) sommet de cette 1ère section.

5) Un pari sur l’impossible : une création nouvelle

Le psalmiste est remonté à son engendrement, et attend maintenant de Dieu Son œuvre de renaissance à une vie nouvelle donnée gratuitement.

« Les os que tu avais écrasés se réjouiront » (v. 10) : l’auteur exprime ici la conséquence de la séparation d’avec Dieu, sens du mot péché, tout en étant convaincu que malgré son anéantissement, Dieu ne le rejette aucunement, mais qu’au contraire son relèvement se produira à partir de son être intérieurement écrasé.

Nous sommes proches de la théologie de Jérémie et d’Ézéchiel, contemporaine de la rédaction de ce psaume, rédigé pendant l’exil ou peu après. Dieu se tient tout près de son peuple anéanti, captif, coupé de toute espérance, et lui déclare : « je vais ouvrir vos tombeaux, je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple » (Ez 37, 11-13).

« C’est comme si tout était neuf »

L’être humain ressent le besoin de ne pas être réduit à sa faute. De là son rêve d’un nouveau départ, si c’était possible : « Crée pour moi un cœur pur » (v. 12). Il ose le demander pour lui-même… « Fais naître un souffle » montre que cette pureté n’est pas rituelle, mais originelle.

Recréer, mot-clé de la 2e partie, est une œuvre beaucoup plus profonde qu’effacer, mot-clé de la 1ère partie. C’est un jaillissement frais et inédit qui est offert, plus qu’une nouvelle chance, une de plus !

Ce surgissement s’effectue dans les entrailles de la personne : « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un souffle neuf, j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit » (Ez 36, 26-27a). C’est la promesse d’une disposition radicalement neuve donnée par le Créateur. Le cœur (lév) est une intelligence, une capacité à s’orienter clairement, alors que rouaH, le souffle, est une énergie divine qui permet de vouloir, d’entreprendre et de mener à bien. La seule initiative personnelle : reconnaître et recueillir le don gratuit de Dieu

« C’est toi qui ouvriras mes lèvres » (v. 17) est la reconnaissance de cette création nouvelle vécue dans la présence divine.

Le v. 13 traduit parfois : « Ne me rejette pas loin de toi, ne me reprends pas ton Esprit Saint » est un sémitisme à traduire plutôt : Reste tout près de moi, ou établis-moi en ta présence, et préserve en moi ton souffle Saint. Souffle pur et généreux, source de créativité et non de peur.

Quand l’accusé acquitté devient témoin

Fruit de cette création nouvelle : « Je vais aller enseigner les pécheurs » (v. 15).

Les vrais enseignants trouvent leurs sources dans leurs erreurs personnelles. Le psalmiste devient donc sensible aux besoins et aux blessures des autres, au contraire de l’époque qui préconisait de fuir les pécheurs pour ne pas être contaminé.

Au lieu d’exclure et de diviser, la faute va rapprocher !

Trait d’humour et d’audace (ou de foi !), le psalmiste dit d’abord à Dieu : « Fais revenir à moi l’allégresse » (v. 14), et « les pécheurs d’eux-mêmes reviendront à toi » (v. 15).

Il ne peut transmette que ce qu’il a reçu. S’il parle c’est que Dieu a ouvert ses lèvres pour transmettre cette joie reçue, témoignage le plus convaincant pour ses auditeurs.

Mon sacrifice ? – Ma condition brisée et restaurée !

La fin du psaume (v. 16-21) tourne autour du thème du sacrifice pour être libéré : « Libère-moi (des effusions) du sang » (v. 16) qu’on peut comprendre de plusieurs façons :

– « Écarte de moi les conséquences de ma faute » – allusion au meurtre d’Urie par David ?

– « Épargne à ma vie l’engrenage infernal du sang versé dans la vendetta » : crime-vengeance-nouvelle rétorsion

– « Délivre-moi de l’obligation de payer pour ma faute », en offrant toujours à nouveau des sacrifices d’expiation ou de réparation.

Ces deux dernières interprétations épousent mieux la logique du v. 16 terminé par : « C’est toi, Dieu, qui es mon salut » – comme pour dire : Ma libération, ma justice, c’est la personne divine elle-même !

Le refus de Dieu des sacrifices (v. 18) ne tient pas tant dans la situation d’exil vécue par le peuple, ou l’état du Temple détruit, mais plutôt dans la critique du formalisme religieux souvent évoquée par les prophètes : « Vous offrez des choses extérieurement, mais votre cœur n’est pas présent. Ce que Dieu désire, c’est que vous soyez engagés dans la relation, réceptifs à sa voix »11

Au v. 19 : « Je n’ai rien d’autre à offrir que ma vie cassée, mon souffle défaillant, épuisé », le psalmiste exprime, plutôt que le repentir, le désespoir du peuple impuissant à envisager son retour d’exil (cf. Ez 37).

« L’être intérieur brisé » (v. 19) décrit une situation dont la seule issue relève de Yhwh (Nom qui apparaît au v. 17 pour la 1ère fois), pur don gratuit de Dieu, plein de grâce et de compassion.

« Fais du bien à Sion (= et à ses habitants), oui, c’est bien là ton désir ; reconstruis les murs de Jérusalem (v. 20) : le psalmiste passe de l’individuel au collectif, en demandant à Dieu pour le peuple et la ville de Jérusalem une recréation identique à celle qui lui sera accordée.

« Alors tu recevras ce que tu aimes, les (vrais) sacrifices de JUSTICE, des oblations entières et des holocaustes (montant vers toi) ; car alors les taureaux monteront (vivants) sur ton autel » (v. 21).

L’hébreu permet une autre lecture, en accord avec le reste du psaume, que celle du retour aux holocaustes (v. 18) que Dieu refuse.

« À la place de : « On offrira des taureaux », on peut lire : « des taureaux monteront ». Le jeu de mots entre holocauste (olâh = montée) et les taureaux qui montent (d’eux-mêmes), nous ouvre une piste : ce verset 21 ne peut être qu’une conséquence du verset 20 : Fais à Sion autant de bien que tu le désires, reconstruis-la ! Le culte communautaire ne pourra être qu’un fruit du faire justice de Dieu qui fera sortir son peuple d’exil, le libérera, et changera lui-même sa condition en permettant la reconstruction entière de sa capitale, murailles comprises. Alors qu’à l’époque, on avait fait l’inverse, on avait d’abord reconstruit l’autel des sacrifices avant que les murs de Jérusalem ne soient rebâtis. »12

Prenons garde à vouloir restaurer nous-mêmes notre intérieur brisé en fuyant dans des pratiques religieuses ou autres.

Tu ne méprises pas un être écrasé, au contraire tu l’accueilles (v. 19), tu le prends en compte en le guérissant, en le ressuscitant (v. 20).

L’Évangile caché dans le Psaume 51.

De nos prises de conscience successives ressort que la seule offrande à faire monter vers Dieu est celle de notre vie dont il est l’origine, seul sacrifice de Justice à lui présenter de tout notre cœur dans une louange spontanée : « En guise de taureaux, nous t’offrirons en sacrifice les paroles de nos lèvres » (Os 14, 3).

« La puissance du taureau en fait aussi le symbole de notre énergie vitale, que nous n’avons pas à détruire par un sacrifice sanglant, mais à faire monter vers Dieu en offrande vivante. Ce qui lui plaît et ce qu’il recherche, ce n’est pas ce que nous forçons en nous, ce que nous écrasons ou refoulons, mais la justice pure et non frelatée que lui-même nous confère.

Justice, ce mot-clé cité par 3 fois, dégage la ligne de force qui met en évidence l’unité du message de ce poème. Cette énergie de vie est comme un souffle tourbillonnant qui ressuscite les ossements desséchés, restaure la personne et les relations, et rebâtit sur des bases nouvelles.

Circulation du Souffle créateur entre le divin et l’humain ! L’unique détenteur de la vraie vie peut seul la communiquer comme il l’a fait au tout premier matin du monde, lui seul peut insuffler à notre être en poussière une inspiration neuve et fraîche, en nous assurant : « Tel que tu es, tu es entièrement juste, entièrement bon et entièrement valable ! » Décret qui nous recrée, nous ranime et nous reconstruit, nous donne envie d’entreprendre et de donner !

La restauration de l’identité intérieure personnelle peut alors conduire à la reconstruction de l’identité collective. Quelle perspective pour nos groupes, nos communautés, nos églises ! On n’en attendait pas autant de ce « psaume de pénitence » ! »

Le nouveau testament en germe

« En plein Ancien Testament bourgeonne le Nouveau : le Psaume 51 annonce tant de scènes d’évangile ! Ou plutôt, la spiritualité des personnages de la Nouvelle Alliance avait abondamment puisé à cette source psalmique : Jésus attablé avec les « pécheurs », la femme qui court annoncer la Bonne Nouvelle à tout un village de Samarie, et surtout en Luc 15, la parabole du fils perdu et trouvé, les échos de la fête avec ses chants, ses danses et même le veau gras, et les entrailles de miséricorde du père.

Six fois dans ce psaume est fait mention du Dieu ‘Elohim, Celui qui discerne avec rigueur, et la septième fois, c’est le Seigneur ‘Adonaï qui apparaît, Celui qui a ressenti la souffrance de son peuple et qui est descendu le sauver.

Plus profondément encore : c’est le Christ qui, après sa mort, descend dans nos enfers (Ep 4, 9), nos enfermements. Même si la pierre fermant l’entrée de nos tombeaux paraît bloquée, ou si nos lieux de repli sont verrouillés, il peut y entrer pour y déposer délicatement sa paix (Jn 20, 26), pour les inonder de sa lumière, nous annoncer la Résurrection, pour nous en faire sortir avec lui et nous donner part à sa plénitude (Ep 4, 10) !

Et lorsque Paul déclare que c’est la bonté de Dieu qui nous pousse à revenir à Lui (Rm 2, 4 – Ps 51, 3) ; que la fidélité de Dieu se montre plus forte que la faillibilité humaine (Rm 3, 3 – Ps 51, 6) ; que Dieu se montre juste en justifiant le pécheur (Rm 3, 24) ; que l’homme est justifié par la foi, non par les œuvres (Rm 3, 28), où donc l’apôtre a-t-il cherché sa théologie, sinon dans les Psaumes et en particulier celui-ci ?

Et encore : « Celui qui n’accomplit pas d’œuvres, mais croit en Celui qui justifie l’impie, sa foi lui est comptée comme justice. C’est ainsi que David célèbre le bonheur de l’homme au compte duquel Dieu porte la justice indépendamment des œuvres : « heureux ceux dont les torts ont été pardonnés et les péchés remis » (Rm 4, 5-8 ; Ps 32, 1). « La loi du Souffle de vie qui est en Jésus-Christ m’a libéré de la loi du péché et de la mort » (Rm 8, 2). Et ce Souffle est votre vie à cause de la justice (Rm 8, 10 ; Ps 51, 12-14). « Offrez-vous vous-mêmes (ou offrez votre personne, votre vie) à Dieu, en offrande vivante » (Rm 12, 1 ; Ps 51, 21).

Enfin un des articles du Credo n’est pas « Je crois au péché » mais « je crois au plein pardon des péchés ». Telle est bien la logique du Psaume 51 ! »13

6) En guise de conclusion

« Le Psaume 51 n’exprime donc pas un repentir, un désir d’en finir avec le souvenir obsédant d’un égarement passager, mais un revenir à Dieu qui fait passer de la mort à une vie nouvelle. Quand la tristesse (lupè = le chagrin, le deuil, l’affliction) est tournée vers Dieu, elle produit une conversion (metanoïa), un changement de regard, qui conduit à la libération et ne laisse pas place au regret… Alors que la tristesse selon ce monde produit la mort (2 Cor 7, 10).

Le Psaume 51 ne prône pas une attitude infantilisante, mais invite à entrer dans la dimension adulte de notre humanité. La tristesse de la souffrance traversée se mue en capacité à discerner.

Le Psaume 51 ne nous replonge pas dans les affres de la culpabilité avec la peur d’être jugé et rejeté, mais nous en arrache en ancrant notre assurance dans l’être même de Dieu : son amour et sa bienveillance.

Le Psaume 51 ne distille pas la peur de se tromper. Il incite à prendre le risque de vivre et insuffle le courage d’aimer. Comme la femme devant laquelle Jésus a déclaré : Il lui a été beaucoup pardonné , car elle a beaucoup aimé (Lc 7, 47).

Finalement le Psaume 51 donne à entendre que pour l’être humain la plus grande responsabilité à assumer ne s’arrête pas à la reconnaissance de sa culpabilité : elle réside dans le fait d’accepter d’être aimé d’un aussi grand amour ! Comptons le nombre d’actions libératrices opérées par Dieu en notre faveur ! Là est la teshouvah, la seule incitation au retour, la seule réponse à donner en toute liberté. Si dans ce Psaume il est question de conversion, il s’agit bien de la conversion à Son amour ! »14

7) Quelques remarques personnelles

Je ne m’aventurerai pas dans une analyse exégétique ou autre ; j’ai juste envie de noter plusieurs points qui peuvent nous rejoindre chacun, là où nous en sommes aujourd’hui :

Ma relation intime avec le Père 

Grandir en liberté intérieure

Choisir de regarder ses erreurs d’une autre façon

Vouloir enfin cesser de fuir ses blessures

Entrer dans l’intercession pour le monde

– Ma relation intime avec le Père : nos frères juifs ignorant la rémission des péchés obtenue par le sacrifice de la Croix, et la rédaction du psaume datant de la période de l’exil (absence du Temple), il ne leur restait qu’une « foi pure et justifiante » en la miséricorde de Yhwh !

Quelle leçon pour nous « cathos », empreints de dévotions en tout genre, oubliant de ce fait l’Auteur de la Miséricorde toujours offerte.

– Grandir en liberté intérieure : en choisissant délibérément de privilégier une relation directe avec le Père ou Jésus (« Qui m’a vu a vu le Père », Jn 14, 9) pour Leur confier dans la foi nos questions, pauvretés, blessures… nous aurons de façon certaine une réponse au-delà de nos espoirs, apprenant à rentrer dans l’espérance qui ne trompe pas (Rm 5, 5).

– Choisir de regarder ses erreurs d’une façon nouvelle : en les considérant progressivement comme des occasions de grandir dans le discernement, nous serons bénéficiaires du même coup d’une nouvelle certitude intérieure d’être aimés et conduits par Dieu, de rester dans Sa Main (Is 49, 16), quoi qu’il arrive.

– Vouloir cesser de fuir ses blessures : Dieu a un plan pour chacun… que nous fuyons la plupart du temps, ignorant la volonté de Dieu pour nos vies, nous donner un projet de bonheur et non de malheur (Jr 29, 11). Osons enfin nous occuper de nous-mêmes !

– Entrer dans l’intercession pour le monde : c’est la suite logique ! Ayant expérimenté l’Amour absolu de Dieu, nous nous sentons alors spontanément poussés à intercéder, évangéliser, au risque d’aimer d’un Amour qui nous dépasse !

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Marc_Girard

2 Ces Psaumes qui nous font vivre, page 68.

3 Ibidem, page 69.

4 Ibidem, page 69.

5 C. Westermann, cité par l’auteure.

6 Ces Psaumes qui nous font vivre, page 73.

7 Ibidem, page 73.

8 Sonia Sarah Lypsic, citée par l’auteure.

9 On peut noter que le mot grec pour dire le péché, hamartia, a la même signification étymologique.

10 Marc Girard, cité par l’auteure.

11 Voir Is 1, 11 ; Jr 6, 20 ; Os 6, 6 ; Am 5, 22 ; Ps 40, 7-8 ; Ps 50, 8-15 (la moitié du Psaume) ; 69, 31-32.

12 Ces Psaumes qui nous font vivre, page 86.

13 Ibidem, page 87.

14 Ibidem, pages 88 – 89.

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