Quel est cet Elie qui doit venir ?

EDITO : Quel est cet Élie qui doit venir ?

 

Pierre Chieux

En ces jours de l’Avent, nous relisons les textes sur Élie, ce prophète qui doit revenir pour préparer la manifestation du Messie, et dont Jésus dit qu’il est déjà venu, car c’était Jean-Baptiste (Matthieu 17, 12). Textes étranges qu’il nous faut peut-être aborder sous un jour nouveau. Jésus aussi est déjà venu, il s’est incarné une fois pour toutes en notre histoire ; mais ne doit-il pas encore venir, et n’attendons-nous pas qu’il soit pleinement manifesté et prenne possession de son royaume ? Et si c’est le cas, ne faut-il pas que nous attendions aussi la pleine manifestation d’Élie, et de tous les prophètes d’Israël, dont le plus grand, Jean-Baptiste (Luc 7, 28) ?

 

« Faire revenir les cœurs des pères (et des mères) vers leurs enfants », voilà le cœur de la vocation prophétique d’Élie (Malachie 3, 24), car elle nous prépare à la révélation du cœur de Dieu, telle que le Christ l’accomplit. Cette vocation prophétique concerne toutes les générations et toutes les époques. Et elle concerne d’une façon particulière notre temps, où plus que jamais nous cherchons à connaître et reconstituons le passé de toutes nos nations, peuples et civilisations, et déchiffrons la génétique de tous nos engendrements. Et où, pour notre humanité, nous rêvons d’unité dans le respect des diversités.

 

Or notre histoire humaine est, depuis l’origine, une histoire de lutte entre peuples et personnes, et d’asservissement aux forces et aux esprits de mort. Et dans cette histoire, l’histoire d’Israël témoigne de la libération que lui a toujours assurée le Dieu vivant et vrai. En tant que chrétiens, nous nous reconnaissons héritiers de cette histoire et nous sommes appelés à reconnaître nos racines juives. Et pourtant nous sommes loin de permettre à nos frères Juifs d’aujourd’hui de nous reconnaître comme leurs enfants, nés d’en-haut et de la fille de Sion (Jean 19, 25-27), pour que leur cœur revienne vers nous. Des siècles de conflits meurtriers nous séparent, comme ils séparent bien des peuples, cultures et religions.

 

Qui pourra aujourd’hui faire redécouvrir le chemin d’une authentique réconciliation à notre humanité, qui en a tant besoin ? Qui pourra nous ouvrir les yeux sur tous les conflits meurtriers vécus d’âge en âge, envers nos aînés les Juifs, les premiers nés dans la foi à la suite d’Abraham ? Sur cette église initiale de Jérusalem, qui a été rompue et éparpillée pour répandre la Vie nouvelle ? Sur ce petit reste d’Israël, qui n’a cessé au cours des siècles de se cacher ou se dissoudre dans notre pâte païenne pour la faire lever ? Reconnaître et rendre justice à ce levain, ne serait-ce pas nous ouvrir à l’esprit d’Élie et de Jean Baptiste ?

Les Juifs ont un sens et une mémoire unique de la profondeur de l’histoire humaine, et des injustices qu’ils y ont subies – et aussi commises. Car ils connaissent combien cette histoire s’origine et s’accomplit en Dieu, à condition de se laisser rapetasser, recoudre, retisser, de génération en génération, en se laissant illuminer par le pardon et la guérison qu’accomplit la miséricorde du Père. C’est en gardant mémoire de cette action régénératrice de Dieu que la Fille de Sion a cultivé et transmis l’Espérance.

 

De chaque peuple et culture, les hommes attendent toujours ce temps et ce royaume à venir où toute justice leur sera rendue. Mais comment ce royaume pourrait-il advenir sans que soit entendu l’appel prophétique à la mise en lumière de tous les charniers de l’histoire (Ezéchiel 37),  à la justice rendue à tous les innocents massacrés, à l’écoute des pleurs de tous les deuils qui n’ont jamais pu être célébrés, dont ceux des enfants d’ Israël dans tous les peuples où celui-ci a été disséminé ? Et comment toutes les Églises et confessions chrétiennes, où partout des Juifs se sont enfouis, pourraient-elles retrouver l’unité et la vigueur de leur témoignage (Jean 17, 21), sans encourager les Juifs à crier vers Dieu leur espérance de justice ? Car le plan d’amour de Dieu envers Israël est irrévocable, et il implique qu’Israël soit une bénédiction pour les nations (Genèse 12, 2-3 ; Jean 4, 22).

 

 

C’est dans le désert, dans l’épreuve de l’exclusion et de la solitude, que la voix de Dieu et des prophètes se fait entendre. Le temps est peut-être venu de pouvoir entendre la voix de tous ceux qui aujourd’hui, dans la grande tradition prophétique d’Israël,  osent crier et nous appeler à sortir de nos tombeaux. Sans voix face à leur cri, nous pourrons alors supplier l’Esprit de Dieu de retisser, entre nous et en toutes nos généalogies, les relations de famille que la mort a brisée.  Nous pourrons alors ensemble nous tenir prêts à accueillir Celui qui est mort, rejeté et banni de tous, pour venir rassembler dans l’unité de Dieu tous les enfants des hommes dispersés (Jean 11, 52).

 

 

 

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