EDITO : “Vivre l’instant présent”

EDITO : “Vivre l’instant présent”, par Claude Turck

(Membre du Conseil national de Fraternité Pentecôte) 

 

De nos jours, nous sommes souvent enjoints de vivre l’instant présent : on parle de « Hic et Nunc » (Ici et Maintenant).

Nombre de nos penseurs et philosophes, et aujourd’hui plus particulièrement nos psychologues et psychothérapeutes, nous incitent à retrouver l’instant présent que nous aurions tendance à négliger.

Gustave Flaubert écrivait : « L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe. »[1] et Blaise Pascal de son côté : « Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent… »[2]

Or, il est indéniable que le seul vrai moment de vie est celui que nous vivons à l’instant « T ». L’instant « t-1 » est révolu, et l’instant « t+1 » est inconnu.

Qu’il soit à nos yeux bon ou mauvais, nous ne pouvons pas revenir sur le passé et nous n’avons qu’une maîtrise toute relative du futur : il garde sa part d’inconnu.

Notre présent est pris en otage par notre regret du passé et notre souci de demain.

Salomon nous conseille : Ne dis pas: “Comment se fait-il que les jours passés aient été meilleurs que ceux-ci ?” (Ecclésiaste 7,10)  et Jésus nous dit : Ne vous inquiétez jamais du lendemain, car le lendemain aura ses propres inquiétudes. À chaque jour suffit sa peine (Mt 6,34) ; ce que Jacques précise : Savez-vous ce que demain vous réserve ? Qu’est-ce que votre vie ? Une brume légère, visible quelques instants et qui se dissipe bien vite. (Jc 4,14)

Négliger le présent se manifeste de diverses façons : je n’ai pas le temps ; je verrai plus tard ; un jour viendra où je le ferai ; quand je serai à la retraite j’aurai le temps de m’en occuper…

La peur, le doute, sont aussi des freins à vivre l’instant présent : je ne suis pas sûr que cela soit bon ; est-ce vraiment ce que je dois faire ; dans quels problèmes je vais encore me mettre…

L’angoisse que je peux ressentir au départ d’un être cher, même momentané, le souci occasionné par la maladie, une rupture, sont autant d’obstacles à trouver la paix nécessaire à ce temps de vraie vie.

Le film négatif que je repasse en boucle suite à un traumatisme psychologique peut provoquer une paralysie de la pensée objective.

Aujourd’hui est notre passé de demain, nous dit Albert Ellis, un psychologue américain. C’est pourquoi il est bon d’être disponible au présent, car plus aujourd’hui sera beau et plus nous en garderons un souvenir lumineux demain.

Faire place nette dans notre esprit pollué par des situations obscures et des pensées destructives, est indispensable pour goûter le présent.

Suite à un grave accident de voiture, je ne pouvais pas retrouver la sérénité indispensable à l’objectivation des faits. Je repassais en boucle le film pour le moins négatif de l’accident. Des séances d’EMDR[3] m’ont été nécessaires pour superposer des images de vie aux images de mort.

Le présent est le seul temps possible à l’écoute, au discernement et à la guérison.

Il nous faut oser !

C’est en prenant des risques que nous donnons toute sa saveur à l’instant présent !

Rien n’est pire que de ne pas prendre de décisions. Certes, on peut se tromper mais il est toujours possible, en accompagnant sa décision, de rectifier, de corriger, d’améliorer si besoin est. Nos erreurs nous servent d’expérience et nous rendent plus forts.

En tant que chrétien, j’ai un bel outil à ma disposition : celui de l’attention portée aux motions de l’Esprit Saint qui est mon meilleur guide. Je mets Dieu dans le coup ! Qu’est-ce que tu en penses, toi Seigneur ? Guide-moi sur ce chemin. Le Seigneur entend toujours cette prière, ce qui me donne la certitude que, quel que soit le choix que je fais, Dieu est présent.

Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car lui-même prend soin de vous. (1P 5,7)

Nous entrons alors dans la louange et osons le plein exercice des charismes qui nous sont donnés.

La vraie vie, le réel, c’est ce que nous vivons là, maintenant, libérés de toute entrave.

« Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie » nous exhorte Pierre de Ronsard.[4]

Prenons le temps de goûter le présent pour en apprécier maintenant la saveur, comme un plat que nous dégustons ; promenons-nous en louant Dieu pour la beauté du paysage qui s’offre à nous ; remercions le Seigneur qui nous place là au bon endroit et au bon moment ; n’ayons pas les yeux fixés sur notre montre comme pour accélérer la fin de notre journée de travail, mais prenons du plaisir à accomplir la tâche qui nous est confiée et la beauté du travail accompli ; quel qu’il soit ce travail est beau :

“Il est aussi beau de peler des pommes de terre pour l’amour du Bon Dieu que de construire des cathédrales. »[5]

Savourons le fruit que nous mangeons.

Vivre l’instant présent ce n’est donc pas s’évader dans le passé même s’il est bon de faire mémoire des moments heureux. Ce n’est pas non plus se projeter dans le futur même s’il peut être profitable et rassurant d’en imaginer le contour.

Vivre l’instant présent n’est pas vivre en cherchant la perfection mais vivre humblement, simplement, à l’écoute de ce qui se présente.

« Notre vie n’est qu’une succession de gestes infimes mais qui, divinisés, modèlent notre éternité. »[6] Vivre l’instant présent apaisé nous apporte la joie d’un instant d’éternité.[7]

Cela ne nous retire pas la réflexion légitime sur ce que nous vivons et la façon dont nous le vivons, dans un souci d’amélioration.

« Accepter le présent s’impose comme le seul moyen d’agir sur lui, tandis qu’en s’y opposant ou en le vivant avec émotion, on le « subit » nous dit Swâmi Prajnânpad. [8]

Inspiré par le sage Bengali, André Comte-Sponville nous précise : « quand on cesse d’attendre tout du futur, alors on est capable d’agir au mieux, au présent. »[9]
« Vivre au présent ne veut pas dire être inculte, oublier l’histoire, ne pas avoir de projets, cela veut dire : être capable d’utiliser le passé et l’avenir pour dynamiser l’instant, pas pour le fuir ou l’occulter. »[10]

Vivre l’instant présent c’est aussi se laisser façonner tel « l’argile dans les mains du potier » pour devenir ce beau vase qui portera les plus belles fleurs aux arômes improbables.

L’été, les vacances sont propices au ressourcement que nous pouvons vivre à travers diverses sessions proposées ; des retraites, des temps de repos liés à des activités différentes qui nous plaisent, nous enrichissent et nous fortifient.

Ce sont ces temps de ressourcement qui nous permettent un regard neuf sur ce que nous vivons.

Afin que ces temps portent de bons fruits, nous avons à nous préparer et à mettre de côté nos certitudes afin d’ouvrir nos yeux à un renouveau, sans crainte de l’inconnu : un abandon qui appelle la confiance. Un abandon dans les mains du Père qui sait de quoi nous avons besoin « Ici et Maintenant ».

Ainsi, le temps festif à Notre-Dame du Laus, la Convention charismatique au centre de Gagnières, les sessions organisées par le Chemin Neuf, les Béatitudes, le Verbe de vie, Fondacio, Don Bosco, l’Emmanuel… Autant d’opportunités pour vivre un ressourcement dans l’instant présent.
Hier est passé, demain n’est pas encore là. Grâce au ressourcement, je prends la mesure de mes capacités pour vivre le présent avec une énergie nouvelle : je serai différent, les autres aussi.

Naturellement un lien étroit existe entre mon présent, mon passé et mon futur.

Quand je vis une conversion, une rencontre avec Jésus le Christ, un bouleversement se produit dans ma vie : cela se passe à l’instant « T », temps fondateur, qui n’ignore pas mon passé et engage mon futur. Hier est présent et j’en tire la leçon, demain se prépare avec douceur. Une dynamique s’est créée qui m’entraîne à la vraie vie.

Tout est question d’équilibre : le passé éclaire mon présent qui me permet d’envisager sereinement ce qui va suivre : je ne fais pas table rase du passé mais le considère dans toutes ses dimensions positives et négatives, non pas pour repartir à zéro, je ne peux pas nier ou ignorer mon passé, mais pour repartir à nouveau.

Tout commence Ici et Maintenant pour rendre gloire à Dieu.

 

[1]Lettre à Louise Colet.

[2]    Pensées (1670), fragment 172 (édition Brunschvicg).

[3]    Le sigle EMDR signifie Eye Movement Desensitization and Reprocessing c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires.

[4]Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578.

[5]    Guy de Larigaudie – Dernière lettre 1940 (Scout et écrivain français).

[6]     Guy de Larigaudie – Dernière lettre.

[7]Pasquale Foresi dans Conversazoni di filosofia, Rome 2001, page 102.

[8]    Swâmi Prajnânpad, sage Bengali.

[9]    André Comte-Sponville, L’Être-Temps. Puf, 1999.

[10]Luc Ferry.