EDITO : Oh qu’il est doux pour des frères… par Marie-Hélène Martin

EDITO DE MARIE-HELENE MARTIN

 

Oh qu’il est doux pour des frères…Voilà un chant que nous aimons reprendre dans nos groupes charismatiques, même si notre imaginaire moderne et occidental choisirait sans doute une autre image que celle d’une huile parfumée dégoulinant sur la barbe d’un grand-prêtre ! Mais lorsque nous sommes rassemblés, il nous arrive de ressentir cette onction particulière qui « coule » sur nous, du seul fait que nous sommes, ensemble, en prière, unis sous le regard du Père, assurés de la présence de Jésus au milieu de nous. L’effet fortifiant, réconfortant, de cette onction se vérifie en particulier lorsque nous arrivons à la prière fatigués et découragés, et que nous en repartons avec une énergie renouvelée. Et voilà de quoi nous sommes privés par les circonstances actuelles.

Au temps du confinement, notre groupe avait adopté la pratique suivante : chacun priait chez soi, au jour habituel de nos rencontres, et le lendemain, on se communiquait la synthèse de ce que tous avaient « reçu », paroles, images… La prière était ainsi réduite à ce qui est certainement l’essentiel (mot d’actualité, lui aussi !) : ce que l’Esprit dit à notre petite portion d’Église, aujourd’hui. Côté exercice de vie charismatique, un bon point. Mais côté vie fraternelle, c’était zéro pointé. Cet autre versant de la vie de groupe passait donc par d’autres canaux, coups de téléphone ou autres, en un certain sens plutôt guidés par les relations inter-personnelles privilégiées que chacun entretient avec tel ou tel, pour des raisons d’affinités.

Maintenant sous le régime du couvre-feu de 18 h, qui interdit tout rassemblement vespéral, nous avons repris les rencontres « pour de vrai », mais en scindant le groupe en deux sous-groupes : ceux qui disposent de leur temps, rentiers, sans emploi, d’un côté, et ceux à qui la vie active impose un emploi du temps serré dans lequel ils ne peuvent dégager qu’une petite parenthèse. Ce fut déjà une grande joie de se retrouver à quelques uns, pour chanter ensemble (« oh qu’il est doux… ! ») et invoquer le Seigneur – en continuant à communiquer les motions de l’Esprit entre les deux moitiés du groupe. Mais on n’échappe pas au sentiment que c’est encore demi-mesure, que nous sommes frustrés de ne plus prier avec ceux de l’autre sous-groupe, sans parler du fait qu’on n’ose plus serrer sur son cœur ceux dont on sent bien qu’ils en auraient grand besoin ! Une demi-mesure, quand le Seigneur nous l’a promise pleine, tassée et débordante !

Cependant c’est carême, et qui dit carême dit temps de purification. Alors peut-être que cette frustration vivement ressentie nous amène à vérifier ce qu’il y a d’impur (au sens de mélangé) dans notre rapport à « notre groupe ». Il y a bien des années déjà, un des prêtres fondateurs de notre groupe nous avait mis en garde contre quelques dérives possibles. Entre autres, le danger de nous transformer en un club, c’est-à-dire un groupe dans lequel on se choisit, on se coopte, et duquel on exclut (implicitement) ceux qui ne sont pas « conformes », qui ne correspondent pas aux normes dans lesquels le groupe se reconnaît. Alors on voit des personnes y venir, mais en repartir très vite, sentant bien qu’elles ne peuvent pas faire partie de la famille… Un autre danger qu’il pointait était ce qu’il appelait « le groupe d’aise » : au contraire on y vient parce qu’on s’y sent bien ; les gens sont gentils, « on s’aime bien », on échappe à la solitude pour un soir – dans des temps plus heureux on avait même des pique-niques, des pots d’amitié… Difficile alors de faire la part entre notre recherche affective, notre besoin vital de lien social, et un authentique rapport au « frère » en tant que frère : un rapport uniquement fondé sur la considération du fait qu’il est enfant de Dieu comme moi, même si je n’ai aucune espèce d’affinité avec cette personne.

Alors en cette période de « distanciation », prenons de la distance avec nos sentiments spontanés ; examinons ce que nous mettons sous la notion de « communion fraternelle », non pour en chasser tout ce qu’elle peut signifier de tendresse humaine, mais pour ajuster davantage notre regard sur nos « frères » au regard de notre Père sur eux. Pensons à ces paroles du Christ qui souvent nous heurtent : « Qui aime son père ou sa mère… son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi. » (Matthieu 10, 37). Elles ne condamnent évidemment pas nos relations humaines, mais les replacent dans une circulation d’amour dans laquelle Dieu est au centre. Et alors, en reconnaissant ce que cela suppose d’exigeant, nous pourrons chanter, en toute vérité, qu’il est vraiment doux pour des frères de demeurer ensemble ; et percevoir ce parfum de l’huile sainte, qui consacre chaque baptisé revêtu du Christ.

1 Commentaire

  1. Merci Marie Hélène ce que tu dis pour notre groupe le reflète bien et la suite est tout à fait juste, comme le début. Catherine

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