Vivre dans l’effusion de l’Esprit-Saint
Par Frère Paul HOUIX, Abbé de l’abbaye de Timadeuc
La vocation de tout disciple du Christ est de vivre dans l’effusion de l’Esprit-Saint qui a eu lieu, une fois pour toutes, dirait la lettre aux Hébreux, d’abord, du sommet de la Croix, au moment de la mort de Jésus quand “inclinant la tête, il rendit l’Esprit” (Jn 19, 30), puis d’une manière visible, au jour de la Pentecôte.
Ne devrait-on pas se poser une question : en toute rigueur de termes, que voulons-nous dire en parlant de demander, de recevoir l’effusion de l’Esprit puisque, depuis notre baptême, nous sommes
plongés, immergés dans l’Esprit-Saint ? Quand nous parlons d’effusion de l’Esprit, il faudrait sans doute dire: l’effusion qu’est l’Esprit, cet Esprit du Père et du Fils qui est en Lui-même une effusion, un don; or, lors de notre baptême, nous avons été vraiment remplis de cette effusion. Si l’Esprit est bien cette effusion cela signifie que tous les baptisés sont déjà plongés en lui et que leur seul désir devrait être de vivre toujours davantage dans cette effusion de l’Esprit. Dès lors, quand nous parlons de demander et de recevoir l’effusion de l’Esprit, cela exprime non pas le désir de recevoir ce que nous n’avons pas encore, mais simplement notre ouverture radicale à cet Esprit-Saint et à ses dons et charismes, cet Esprit qui, depuis notre baptême, est dans notre cœur où il crie : Abba ! Père !.
En effet, par le rite sacramentel primordial, le rite baptismal de l’immersion-émersion, nous sommes vraiment habités par l’Esprit qui fait de nos corps des temples, ce qui conduisait Saint Paul à s’interroger: “Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ?”. (] Co 6, 19). Notre vie chrétienne n’est donc rien d’autre qu’une soumission à cet Esprit, un désir ardent d’adhérer sans réserve à ses appels. Quand nous parlons de demander l’effusion de l’Esprit, c’est vraiment pour signifier notre désir de vivre de façon permanente dans l’Esprit, et aussi pour signifier une ouverture totale à son action, une entière démission afin qu’il agisse pleinement en nous, une douce docilité à ses inspirations parfois cependant très discrètes.
Or il faut bien reconnaitre que beaucoup de personnes témoignent que, après ce qu’on appelle l’effusion de l’Esprit, elles ont parfois vécu des moments merveilleux de plénitude. Il est vrai que certains sont tentés de mettre en doute de telles expériences et pourtant nul ne peut nier la joie parfois débordante qui saisit un pécheur quand il se convertit vraiment. Jusque là enfermé dans sa misère dont il n’arrivait pas à sortir, voilà qu’il connaît parfois, par cette effusion de l’Esprit, une liberté toute nouvelle, si forte et si profonde qu’il ne peut s’empêcher de pleurer devant la miséricorde de Dieu. Le don des larmes est certainement une grâce de prix pour celui qui, sorti de son enfer, mesure l’immensité du pardon du Père. Il éprouve alors le besoin ou de se taire car les mots sont souvent impuissants à traduire une telle découverte, ou de crier son bonheur d’avoir enfin trouvé la vraie vie et la liberté.
Mais il arrive aussi qu’après un temps de béatitude, la foi devienne plus ardue, la joie n’est plus aussi sentie, les convictions elles-mêmes semblent s’effriter. Au fond, la question devient simplement: que faut-il faire quand “ça retombe” ? Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer des personnes désorientées dans leur cheminement spirituel quand elles entrent dans le désert ou le tunnel, après un temps de bonheur jusque là inconnu. D’où les questions parfois amères : me serais-je trompé en demandant la prière pour l’effusion de l’Esprit? N’ai-je pas été victime d’une illusion? Mais ne serait-ce pas aussi le signe qu’on attendait trop ou mal d’une telle prière ?
Se mettre à la disposition de l’Esprit
Quelle est donc le sens de cette prière ? La demande de l’effusion de l’Esprit est souvent considérée comme une action du croyant qui s’ouvre largement à une action de l’Esprit. Ceci est vrai et pourtant l’essentiel n’est pas dans l’agir de l’homme mais dans l’agir de l’Esprit-Saint, l’Esprit du Père et du Fils auquel on auquel on accepte de se livrer par amour et dans la confiance. Si bien que, par cette effusion de l’Esprit, ce n’est pas nous qui disposons de l’Esprit, c‘est nous qui nous mettons à la disposition de l’Esprit. Telle est bien semble-t-il le cœur d’une vie dans l’Esprit : adhérer dans réserve à ses appels. La suprême activité de l’homme ne serait-elle donc pas cette démission pour laisser agir l’Esprit ? Et, comme pour Jésus après son baptême, l’Esprit peut nous conduire et même nous pousser au désert. Mais pourquoi une telle expérience ?
Ce passage au désert est nécessaire afin que nous soyons purifiés dans nos désirs et que nous acceptions de reconnaître que nous n’avons pas barre sur l’Esprit, que nous n’avons pas mis la main sur lui. Dès lors, il nous faut avancer dans la nuit de la foi sans douter un seul instant de l’efficacité de la prière par laquelle nous nous sommes livrés à l’Esprit.
Le désert est nécessaire car c’est là que tombent les illusions et que le personnage que nous sommes si souvent tentés de jouer est démasqué. En effet, pour peu que des charismes nous aient été donnés, par pure grâce pourtant, nous risquons d’agir comme si nous en étions les propriétaires et comme s’ils étaient des signes quasi évidents de notre sainteté. Or les charismes nous sont donnés non pas parce que nous sommes saints mais pour que nous le devenions ! Ce passage par les «tunnels » permet au spirituel que nous sommes appelés à devenir d’avancer sur le
seul chemin où nous sommes en sécurité : le chemin de la foi. “J’étais dans les ténèbres et en sûreté” dit magnifiquement Saint Jean de la Croix. Quand tout allait bien, quand la joie emplissait tel ou tel charisme, nous risquions d’oublier que nous ne sommes que des intendants, des serviteurs totalement à la disposition de ce Dieu que nous appelons : Abba Père !
Attention à la “magie” !
Le passage au désert, après une forte expérience spirituelle, nous purifie aussi de ce que les auteurs anciens appelaient “la gourmandise spirituelle” qui est le signe que nous sommes plus
attentifs aux dons de Dieu qu’à Dieu lui même. Or le but de la vie spirituelle c’est selon le grand saint russe Séraphim de Sarov, “l’acquisition du Saint Esprit“. Ne peut-on pas dire que si Dieu nous conduit au désert après cette demande de l’effusion de l’Esprit, c’est pour nous permettre de vérifier la pureté de nos intentions et pour que personne n’attribue à la prière fraternelle quelque chose de magique ? En effet, par ses formes elles-mêmes, par l’ambiance qui l’entoure, la prière pour l’effusion de l’Esprit risque parfois d’apparaître et d’être vécue comme un rite magique auquel on attribue des effets plus ou moins magiques. D’où les déceptions si de tels effets ne se produisent pas. Il faut cependant dire, avec beaucoup de force et de joie, que la prière des frères et des sœurs faite pour nous est toujours efficace, mais aussi que son efficacité, dans ses formes et ses fruits, appartient à Dieu seul qui est maître de ses dons !
Il peut donc bien y avoir un “après l’effusion de l’Esprit” qui est le temps de la foi et qui ne peut se vivre qu’en référence à notre baptême, sacrement de la foi. Notre vie de chrétien, en Eglise, il faut sans cesse le redire, n’est que le déploiement de tout ce que nous avons reçu, en germe, au jour de notre baptême et qui fait de chacun de nous, au sens strict du terme, un charismatique. L’homme enfermé dans la cellule de sa prison, le malade cloué sur son lit d’hôpital, la mère de famille dans sa cuisine, le militant en réunion syndicale, le moine dans le silence de son cloître, l’évêque en tournée pastorale… chacun d’entre eux, disciple du Ressuscité, est appelé à s’ouvrir largement à la puissance opérante de l’Esprit et à ses dons les plus variés. A partir de ces exemples volontairement choisis de manière contrastée, on saisit que nous ne sommes que des serviteurs livrés à l’action de l’Esprit.
Dès lors, le temps d’épreuve, souvent vécu après l’effusion de l’Esprit, permet de vérifier si elle s’enracine bien dans l’expérience originelle du baptême par laquelle nous sommes devenus des
serviteurs de l’Esprit, des serviteurs désirant par dessus tout recevoir le don de l’humilité.
L’humilité et la joie du Christ
A 72 ans, Silouane, célèbre moine du Mont Athos, est sorti de son silence pour “crier à toute la terre” que l’Esprit Saint lui avait révélé la connaissance du Seigneur Jésus, mais il savait aussi que le danger le plus grand de toute vie spirituelle, c’est l’orgueil. C’est pourquoi il n’hésitait pas à dire que si on lui demandait ce qu’il désirait de Dieu, quel don il aimerait recevoir, il répondrait : « l’esprit d’humilité qui, plus que tout, plaît au Seigneur ” et il ajoutait: “jour et nuit, je demande à Dieu l’humilité du Christ».
Il ne faut pas avoir peur de recevoir les charismes que l’Esprit offre à ses amis afin de faire d’eux des témoins qualifiés du Christ ressuscité, mais il faut surtout demander avec persévérance l’humilité qui est, selon Silouane, ” le suprême don du Saint-Esprit“. Si bien que l’épreuve qui peut suivre un temps de grâce n’a finalement pas d’autre but que d’établir l’homme spirituel dans une attitude juste puisqu’il ne se regarde plus, comme aimait à répéter Maurice Zundel : il est livré à Dieu et aux hommes et il ne joue ni au maître ni au gourou. L’Esprit a fait de lui, à l’exemple de la Vierge Marie, un vrai disciple de Celui qui seul a pu oser dire : ” Je suis doux et humble de cœur“.
Ce disciple connaît la joie promise au cœur pur, la joie si mystérieuse mais si réelle de Jésus.
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