« NE SONGEZ PLUS AUX CHOSES D’AUTREFOIS » (Is 43, 18)
Du Cardinal Raniero Cantalamessa, ofmcap, à CHARIS, Rome, Salle Paul VI, 4 novembre 2023
Chers frères et sœurs, dans un premier temps, j’avais pensé choisir comme thème de cet exposé les paroles de la Lettre aux Hébreux :
“Rappelez-vous ces premiers jours : après avoir reçu la lumière du Christ […] Ne renoncez pas à votre franchise, pour laquelle une grande récompense vous est réservée. Il suffit de persévérer.”
Derrière ce choix, il y avait le désir de souligner le besoin diffus que l’on sent dans le Renouveau Charismatique Catholique (RCC) de revenir aux origines, de « raviver la flamme » comme le recommandait l’Apôtre à son disciple Timothée (2 Tm 1, 6). Sauf que j’ai senti immédiatement une autre parole prophétique résonner en moi et se superposer à l’autre. Elle incite à faire un mouvement inverse : ne pas regarder en arrière, mais en avant :
“Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ?”
J’ai pensé qu’il fallait suivre cette suggestion. L’Esprit Saint nous exhorte donc à remarquer ce qu’il a fait de nouveau entre-temps, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, et ce qu’il fait encore. Je n’ai pas l’intention – et ce n’est pas non plus le lieu – de faire une analyse de ce qui a changé au cours des 56 premières années de la vie du RCC. J’en viens plutôt tout de suite au présent, à ce qui se passe « en ce moment même », sous nos yeux, et dont peut-être nous aussi « ne nous rendons pas compte ». La nouveauté – qui n’en est même plus une, puisqu’elle est en cours depuis quelques années – est que le Renouveau Charismatique Catholique (RCC) est passé du fait d’être toléré et, progressivement, même approuvé et loué par la plus haute autorité de l’Église, à être activement promu, recommandé et, je crois, également partagé.
Le Pape François est un don que l’Esprit Saint a fait à toute l’Église, mais surtout à nous, du Renouveau charismatique. Je laisse à d’autres – peut-être à venir – le soin d’expliquer les raisons de cette déclaration. Ce qui nous intéresse ici, maintenant, c’est d’en tirer la conséquence pratique, c’est-à-dire de ne pas nous contenter de la « promotion », mais de comprendre à quoi elle est liée. En d’autres termes, ce que le Saint-Père attend du RCC et en particulier de son organe de service qu’est CHARIS. Je n’ai pas besoin de faire des déductions avec une grande analyse car il ne se lasse pas de le répéter en diverses occasions. Il s’agit essentiellement de trois choses :
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Contribuer à l’effort d’évangélisation de l’Eglise.
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S’engager auprès des pauvres et des nécessiteux
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Travailler à l’unité des chrétiens
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Disons un mot sur chacun de ces trois engagements. Quelle peut être notre (peut-être, à l’âge que j’ai, devrais-je dire « votre ») contribution spécifique à l’évangélisation ? La réponse se trouve dans les paroles – qui tiennent lieu de programme – avec lesquelles Jésus a commencé son ministère public : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle [littéralement, pour évangéliser] aux pauvres » (Lc 4, 18). Nous y voyons la primauté absolue de l’Esprit Saint dans l’annonce.
Le moyen primordial et naturel par lequel la parole est transmise est le souffle, l’haleine, la voix. La Parole de Dieu suit aussi cette loi. Elle se transmet au moyen d’un souffle, d’une respiration. Et le souffle, ou ruah, de Dieu, selon la Bible, c’est l’Esprit Saint ! Mon souffle – disait saint Augustin – peut-il animer votre parole, ou votre souffle animer ma parole ? Non, ma parole ne peut être prononcée qu’avec mon souffle, et votre parole avec votre souffle. Ainsi, de la même manière, on comprend que la Parole de Dieu ne peut être animée que par le souffle de Dieu qu’est l’Esprit Saint.
Mais je n’insiste pas sur ce point dont nous sommes tous bien convaincus, à l’intérieur et à l’extérieur du RCC. Il y a une manière plus spécifique dont le Renouveau charismatique peut contribuer à l’évangélisation. Au début de son exhortation Evangelii Gaudium, le pape François écrit :
“J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui.”
Malgré son apparente simplicité, cette expression contient une nouveauté que nous devons essayer de comprendre. Au cours des cinq derniers siècles – improprement appelés « la Contre-Réforme » – la spiritualité et la pastorale catholiques ont regardé avec méfiance cette façon de concevoir le salut. Elles y voyaient le danger (tout autre que lointain et hypothétique du reste) du subjectivisme, c’est-à-dire de concevoir la foi et le salut comme un fait individuel, sans relation véritable avec la Tradition et avec la foi du reste de l’Église.
Désormais, nous sommes entrés, grâce à Dieu, dans une nouvelle phase où nous nous efforçons de voir les différences, non pas nécessairement comme incompatibles entre elles et donc à combattre, mais, dans la mesure du possible, comme des richesses à partager. Dans ce nouveau climat, on comprend l’exhortation à avoir une « relation personnelle avec le Christ ». Cette façon de concevoir la foi nous semble être en effet la seule possible vu que la foi n’est plus un fait acquis que l’on absorbe dès l’enfance à travers l’éducation familiale et scolaire, mais le fruit d’une décision personnelle.
Le succès d’une mission ne se mesure plus au nombre de confessions entendues et de communions distribuées, mais au nombre de ceux qui, de chrétiens de nom, sont devenus de vrais chrétiens, c’est-à-dire convaincus et actifs dans la communauté. Et c’est là la contribution la plus évidente que le Renouveau charismatique se propose d’offrir – et, à son échelle, réalise – du point de vue pastoral.
Essayons de comprendre concrètement en quoi consiste cette fameuse « rencontre personnelle » avec le Christ. Je dis que c’est comme rencontrer une personne en vrai, après l’avoir connue pendant des années uniquement en photo. On peut connaître des livres sur Jésus, des doctrines, des hérésies sur Jésus, des concepts sur Jésus, sans le connaître vivant et présent. Pour beaucoup, même pour les croyants baptisés, Jésus est un personnage du passé, et non une personne vivante dans le présent.
Il est utile de comprendre la différence qui se produit dans la sphère humaine, lorsque l’on passe de la connaissance d’une personne à l’amour pour elle. On peut tout savoir d’une femme ou d’un homme : son nom, son âge, les études qu’il a faites, la famille à laquelle il appartient… Et puis un jour, une étincelle jaillit et on tombe amoureux de cette femme ou de cet homme. Tout change. On veut être avec cette personne, l’aimer, l’avoir pour soi, avoir peur de lui déplaire et de ne pas être digne d’elle.
Cette étincelle s’allume de la manière la plus inattendue et au moment le plus inattendu. Dans la plupart des cas que j’ai connus dans ma vie, la découverte du Christ qui a changé la vie a été provoquée par la rencontre d’une personne qui avait déjà fait l’expérience de cette grâce, par la participation à un rassemblement, par l’écoute d’un témoignage, par l’expérience de la présence de Dieu au moment d’une grande souffrance et – nous en sommes témoins – par la réception du baptême dans l’Esprit.
Nous voyons ici la nécessité de s’appuyer de plus en plus sur les laïcs, hommes et femmes, pour l’évangélisation. Ils sont plus insérés dans les mailles de la vie où s’accomplissent habituellement ces circonstances. Beaucoup d’entre eux ont découvert ce que signifie connaître un Jésus vivant et sont désireux de partager leur découverte avec d’autres.
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Passons au deuxième point que le Pape François ne se lasse pas de recommander au Renouveau charismatique : l’engagement auprès des pauvres. Nous savons combien cela lui tient à cœur dans tous les domaines de l’activité de l’Eglise. A cette fin, il nous a proposé de reprendre le document de Malines dans lequel le cardinal Suenens et Mgr Helder Camara ont illustré avec passion cet engagement que Jésus lui-même a associé de manière indissociable à l’évangélisation par ces mots : « Il m’a consacré par l’onction pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres ».
On m’a demandé d’écrire une brève introduction à la traduction italienne de ce document de Malines, et je me permets d’anticiper quelques points ici, surtout pour vous inviter à lire ce bref document avec attention et à cœur ouvert. À l’époque où ce texte a été rédigé, la grande polarisation dans l’Église était entre les chrétiens dits « spirituels », qui soulignaient l’importance de la vie spirituelle et de la prière, et les chrétiens « engagés », qui insistaient sur la priorité de la libération humaine de la pauvreté. Sur chacun des deux fronts – Suenens du côté spirituel et théologique, Camara du côté social et engagé – l’inséparabilité des deux exigences selon l’Évangile du Christ est mise en évidence avec une extrême clarté et une parfaite consonance.
De ce point de vue, le document de Malines vaut à lui seul un cours de formation pour le RCC. C’est un vade-mecum toujours d’actualité. Et pas seulement pour le RCC, mais pour toute l’Église et son activité d’évangélisation. Pertinent aujourd’hui comme au temps où il a été écrit, même si les polarisations ne sont plus exactement les mêmes qu’à l’époque. La voix des deux auteurs – et en particulier la voix prophétique de Dom Helder Camara – résonne aujourd’hui dans le magistère et les gestes du pape François. Le « credo » et l’ « appel » que Dom Camara adresse au RCC m’ont ébranlé lorsque je les ai relus, et je crois qu’ils peuvent en ébranler d’autres aussi.
Je voudrais juste ajouter quelques réflexions qui pourraient nous aider à contextualiser le document un demi-siècle après sa rédaction. Dans le passé, un observateur extérieur, se référant précisément au document de Malines, a critiqué le Renouveau charismatique pour son manque d’engagement envers les pauvres et dans le domaine de la charité.
Nous devons admettre que cela est vrai, mais certaines observations peuvent nous aider à mieux évaluer la réalité des faits. La première observation est que le RCC n’est pas un mouvement, mais – selon la propre définition du cardinal Suenens – un « courant de grâce ». Cela signifie que le RCC n’a pas de fondateur, de structures, d’organisations, de bâtiments ni de bureaux, comme en ont tous les « mouvements » et les ordres religieux. Si l’on pense à un engagement social organisé, avec un minimum de ressources disponibles, il semble difficile d’attendre beaucoup plus du RCC, sans qu’il ne passe du statut de courant de grâce à celui de mouvement et d’institution. Les fraternités charismatiques peuvent peut-être faire quelque chose de plus que les groupes de prière.
La conclusion n’est heureusement pas aussi négative qu’il y paraît. Le pape François a insisté à plusieurs reprises sur les nombreuses pauvretés qui existent dans le monde et, par des gestes personnels, il nous a fait découvrir plusieurs d’entre elles, ignorées ou peu considérées. Il n’y a que des œuvres de miséricorde corporelles, mais aussi des œuvres de miséricorde spirituelles. Parmi les mêmes œuvres de miséricorde corporelle, il y a l’accueil des sans-abri et l’alimentation de ceux qui ont faim, mais il y a aussi le soin des malades et la visite aux prisonniers. Je suis le moins capable de citer des noms et des chiffres à cet égard, mais je sais que dans de nombreux pays, le RCC a accompli et continue d’accomplir un travail caché mais inestimable (et pas seulement spirituel !) en faveur des prisonniers, sans parler du ministère auprès des malades : visite, prière et accompagnement.
Un autre fait doit également être gardé à l’esprit. Les millions d’adhérents revendiqués, lorsqu’on parle du RCC, se réfèrent à tous ceux qui ont reçu le baptême dans l’Esprit, ou qui ont fait, en tout cas, une forte expérience de l’Esprit Saint et de ses charismes dans le contexte du RCC ; ils n’indiquent pas les membres « effectifs » ou « enregistrés » du mouvement qui, d’ailleurs, ne prévoit ni inscription ni immatriculation d’aucune sorte.
Combien de réalités, y compris sociales et caritatives, sont menées à bien par des personnes qui ont fait l’expérience personnelle d’une nouvelle Pentecôte à travers le RCC et qui ont ensuite servi l’Église dans d’autres domaines, sans aucun rapport institutionnel avec lui ! J’ai moi-même pris connaissance de plusieurs de ces réalités et j’ai presque toujours découvert qu’au départ, il y avait eu, dans la vie du fondateur, une expérience personnelle de l’Esprit (souvent le « baptême dans l’Esprit »), sans retenir pour autant le nom de « charismatique » ni professer une quelconque affiliation au RCC.
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Je serai plus bref sur le troisième point, l’unité des chrétiens, notamment parce que j’ai presqu’épuisé mon temps de parole. La passion pour l’unité des chrétiens fait partie de l’ADN originel du RCC. Elle est née de la rencontre dans la prière de catholiques avec des frères et sœurs pentecôtistes et évangéliques. Elle s’est rapidement révélée comme la réponse de Dieu au besoin exprimé de toutes parts (y compris par le cardinal Walter Kasper, lorsqu’il était président du Conseil pontifical pour l’unité) d’un « œcuménisme spirituel » qui accompagne l’œcuménisme doctrinal et lui insuffle la force motrice de l’Esprit Saint.
Je me limite ici à répéter certaines réflexions que j’ai faites à ce sujet dans ma dernière prédication à la Maison pontificale, lors du dernier Carême, en l’absence du Saint-Père qui était hospitalisé. Nous sommes tous convaincus qu’une partie de la faiblesse de notre évangélisation et de notre action dans le monde est due à la division et au désaccord mutuel entre les chrétiens. On vérifie ce que Dieu dit par le prophète Aggée :
On attendait beaucoup, et voici qu’il y a peu ; ce que vous avez rapporté à la maison, j’ai soufflé dessus. À cause de quoi ? – oracle du Seigneur de l’univers. À cause de ma Maison qui est en ruine, quand chacun de vous s’agite pour sa propre maison. (Ag 1, 9)
La « maison » signifie également son église ou sa dénomination. Jésus a dit à Pierre : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». Il n’a pas dit : « Je bâtirai mes Églises ». Il doit donc y avoir un sens dans lequel ce que Jésus appelle « mon Église » englobe tous ceux qui croient en lui et tous les baptisés. L’apôtre Paul a une formule qui pourrait remplir cette tâche d’embrasser tous ceux qui croient au Christ. Au début de la première lettre aux Corinthiens, il adresse sa salutation à : « tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre ». (1 Co 1, 2)
Nous ne pouvons certes pas nous satisfaire de cette unité si vaste, mais si vague. Et cela justifie l’engagement et la confrontation, y compris doctrinale, entre les Églises. Mais nous ne pouvons pas non plus mépriser et ignorer cette unité fondamentale qui consiste à invoquer le même Seigneur Jésus-Christ. Celui qui croit au Fils de Dieu croit aussi au Père et à l’Esprit Saint. Ce qui a été répété à plusieurs reprises, à commencer par saint Jean-Paul II, est tout à fait vrai : « Ce qui nous unit est immensément plus important que ce qui nous divise ».
Dans les cas où l’on ne peut s’empêcher de désapprouver l’usage que font d’autres chrétiens du nom de Jésus et la manière dont l’Évangile est annoncé, ce que saint Paul disait de certains qui annonçaient l’Évangile « dans un esprit de rivalité et avec des intentions injustes » peut nous aider à surmonter le rejet. « Qu’importe ! – écrit-il aux Philippiens – De toute façon, que ce soit avec des arrière-pensées ou avec sincérité, le Christ est annoncé, et de cela je me réjouis ». (Ph 1, 16-18) Sans oublier que les chrétiens d’autres confessions trouvent aussi chez nous, catholiques, des choses qu’ils ne peuvent pas approuver.
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J’ai tenté d’illustrer ici les trois principaux domaines dans lesquels le Saint-Père appelle le RCC à agir. Comment pouvons-nous accomplir des tâches aussi exigeantes ? Il convient ici de rappeler la première parole que j’avais à l’esprit de commenter : « Rappelez-vous ces premiers jours : après avoir reçu la lumière du Christ ». Rappelez-vous ce qu’était le Renouveau charismatique à ses débuts, ou au moment où la flamme s’est attachée à nous. Ce n’était certainement pas les longs discours de la sagesse humaine, mais la présence presque tangible et respirable de l’Esprit Saint, provoquée par une parole prophétique, un témoignage ou un chant inspiré en langues. Je n’ai jamais oublié l’émotion que j’ai ressentie lorsque j’ai entendu, dans le stade de Kansas City en juillet 1977, le chant de 40.000 personnes de différentes confessions chrétiennes :
“He is Lord, He is Lord!
He is risen from the dead and he is Lord!
Ev’ry knee shall bow, ev’ry tongue confess
That Jesus Christ is Lord.”
Il n’en fallait pas plus pour faire tomber les murs de Jéricho… Voulez-vous me faire un cadeau ? Chantez-le-moi, en anglais, vous tous qui le connaissez. (Dans d’autres langues, malheureusement, c’est devenu une sorte de chansonnette). Je m’unis à vous…
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