Bref historique du renouveau charismatique catholique.
par Marie Hélène Martin, du pôle communication de Fraternité Pentecôte
Il arrive souvent que ce qu’on prend pour une source soit simplement la résurgence d’une eau qui a coulé de façon souterraine, et qui est « née » bien en amont. Ainsi ce qui jaillit à la lumière est le résultat d’un cheminement invisible plus ou moins long et tortueux. Cette image peut s’appliquer au surgissement du renouveau charismatique catholique, et tenter de remonter à sa source permet de voir… la grande patience de Dieu, pour qui mille ans sont comme un jour. Nous ne remonterons cependant pas jusqu’à la Pentecôte, même si cette effusion de l’Esprit sur les disciples au Cénacle, en offrant une première concrétisation à la prophétie de Joël (ch. 3), est le point de départ d’une œuvre d’évangélisation qui se perpétue jusqu’à nos jours.
Comment, sans l’impulsion de l’Esprit Saint, cette « force d’en haut », une poignée de Judéens timorés auraient-ils entrepris de porter la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ jusqu’aux confins du monde habité ? Mais à mesure que les siècles passaient, une idée s’est peu à peu imposée, selon laquelle les charismes nécessaires à la toute première évangélisation, les signes et les prodiges accompagnant la prédication de la Parole, n’avaient plus cours, n’avaient même plus de raison d’être, une fois le christianisme « installé »… St Augustin s’est déjà élevé contre cet attiédissement, et on voit très tôt s’affronter les deux tendances, celle qui laisse toute initiative à l’Esprit Saint, celle qui vise à en contrôler les manifestations, au risque de l’éteindre.
Nous ne referons pas l’histoire de ces deux millénaires et nous en tiendrons au dernier siècle. Il suffira à montrer comment l’œuvre de Dieu nous surprend par ses étranges cheminements. Par une motion prophétique, une religieuse italienne du nom d’Elena Guerra fonda à la fin du XIXe siècle un ordre nommé Oblates du Saint Esprit, et reçut l’inspiration d’écrire de façon insistante au pape Léon XIII, pour le presser de renouveler l’Eglise en y développant la dévotion à l’Esprit. Elle aurait voulu que l’invocation du Veni Sancte Spiritus soit aussi populaire et répandue chez les fidèles que les Pater et les Ave.
Sur ses instances, le pape instaura une neuvaine au St Esprit entre Ascension et Pentecôte, et il consacra le XXe siècle au St Esprit : le jour de l’An 1901, il fit chanter à cet effet le Veni Creator Spiritus. Mais, ô surprise, le monde catholique ne fut pas pour autant bouleversé par un tsunami charismatique. En revanche, c’est dans le milieu méthodiste américain, à partir de Topeka dans le Kansas, que se répandit immédiatement la prière pour le baptême dans l’Esprit Saint, et que réapparurent avec puissance les charismes répertoriés aux premiers temps de l’Eglise, tels que le parler en langues. C’est donc le pentecôtisme protestant qui fut la première manifestation de ce renouveau des charismes et dons spirituels appelé par le prière du pape… On en conclura naturellement que le renouveau charismatique est oecuménique dès l’origine ; et que les savantes distinctions que nous mettons entre nos diverses dénominations chrétiennes n’ont pas beaucoup de sens aux yeux de Dieu.
Plus d’un demi-siècle s’est écoulé sans qu’un mouvement aussi spectaculaire que le pentecôtisme apparaisse dans l’Eglise de Rome. Sans doute y eut-il d’autres petits courants souterrains qui devaient alimenter à terme le jaillissement du renouveau ; on peut par exemple évoquer la figure de Marthe Robin, qui prédisait en 1936 à son père spirituel, le p. Finet, une nouvelle « Pentecôte d’amour », précédée par un renouveau de l’Eglise.
Mais c’est le concile Vatican II qui a marqué une étape décisive, avec cette fois encore, une inspiration venue du pape, Jean XXIII. Il rédige une prière en vue de ce concile qu’il a convoqué, et cette prière commence ainsi : « Seigneur, renouvelle tes merveilles en notre temps, comme pour une nouvelle Pentecôte. »[1] Les documents émanant du concile, dans lesquels on a comptabilisé 258 mentions de l’Esprit Saint, confirment la place que peuvent et doivent tenir les charismes dans la vie spirituelle des chrétiens « ordinaires ». Ce ne fut pas sans avoir à combattre la théorie récurrente selon laquelle ces dons de l’Esprit n’étaient ni pour tous les temps ni pour tout le monde ; mais, entre autres sous l’influence du Cardinal Suenens, la liberté fut rendue à l’Esprit de se répandre sur toute chair.
Et c’est dans la suite immédiate de Vatican II que se placent les événements maintenant bien connus dont on a célébré le Jubilé d’Or à Rome en 2017 : la retraite de quelque 25 étudiants « jeunes et immatures »[2] de l’Université de Duquesne aux USA, en février 1967. Le chant quotidien du Veni Creator Spiritus entraîna une réponse du Seigneur qui dépassait de beaucoup les attentes des retraitants, venus écouter sagement des enseignements sur les quatre premiers livres des Actes des Apôtres : une effusion de l’Esprit qui leur faisait revivre précisément ce qu’avaient vécu les apôtres au Cénacle.
Ce qui était de l’ordre d’une connaissance théorique devenait une expérience ; les charismes énumérés dans les écrits de saint Paul quittaient le domaine des phénomènes extraordinaires, réservés à des temps ou des personnes spécifiques, pour entrer dans une manière de vivre sa foi au quotidien, renouvelant en totalité le rapport à Dieu, à l’Église, au monde. « Tout à coup, saint Paul et les Actes des Apôtres semblent être vivants et font partie du présent ; […] c’est une découverte de l’authentique action du Saint-Esprit, qui est toujours à l’œuvre, comme Jésus lui-même l’a promis. […] C’est de nouveau une explosion de l’Esprit de Pentecôte, une jubilation qui était devenue étrangère à l’Église. »[3]
À partir de là, le « courant de grâce » s’est répandu de façon fulgurante dans le monde entier, donnant naissance à de nouvelles communautés, des groupes de prière, des œuvres d’évangélisation et/ou caritatives, des ministères de guérison… Ne serait-ce qu’en France :
- communauté du Lion de Juda devenu les Béatitudes (1973, Gérard Croissant),
- communauté du Chemin Neuf (1973, Laurent Fabre sj.),
- communauté de Poitiers (1974, Jean-Michel et Jane Rousseau) devenue Fondations pour un Monde nouveau puis Fondacio,
- communauté de l’Emmanuel (1976, Pierre Goursat et Martine Catta),
- communauté du Pain de Vie (1976, Pascal Pingault),
- communauté du Puits de Jacob (1977, Bertrand Lepesant sj.),
- communauté de l’Épiphanie et de la Croix (1982, Guy et Christiane Stremsdoerfer),
- communauté du Verbe de Vie (1986, sept fondateurs dont Georges Bonneval),
- pour ne parler que d’une « première vague » bientôt relayée par d’autres « réalités nouvelles ». Les groupes de prière,du fait de leur dissémination et de leur taille souvent modique, n’ont acquis de visibilité nationale qu’à partir du rassemblement du Bourget à la Pentecôte 1988,préparé par des délégués des différentes régions qui ont par la suite constitué l’instance fédératrice de Fraternité Pentecôte.
Au niveau international, l’ICCRS (International Catholic Charismatic Renewal Services) a été créé auprès du Vatican pour mettre au cœur de l’Église des responsables en mesure d’observer et de propager dans le monde entier cette grâce de Pentecôte. En 1996, la sœur Nancy Kellar, membre du conseil de l’ICCRS, saluait dans le bulletin bimestriel[4] le réveil de l’Europe de l’Est, le développement du renouveau en Amérique latine comme en Océanie, aux Philippines, en Malaisie, et même en Papouasie ou en Corée… Avec le constant encouragement des papes pour que cette vie chrétienne renouvelée sous l’action de l’Esprit soit la norme et non l’exception :
Paul VI, en 1975 : « l’Église et le monde ont besoin plus que jamais que le prodige de la Pentecôte se poursuive dans l’histoire. »
Jean-Paul II, le 30 mai 1998, année de l’Esprit Saint dans la perspective du jubilé de l’an 2000 : « l’aspect institutionnel et l’aspect charismatique sont presque co-existants dans la constitution de l’Église et concourent, bien que de façons diverses, à sa vie, à son renouveau, et à la sanctification du Peuple de Dieu. »
À l’occasion du jubilé de 2017, le pape François a suscité une nouvelle instance internationale, un nouveau service unique, sous le nom de CHARIS (Service International du Renouveau Charismatique Catholique). La particularité de CHARIS est qu’il ne s’agit pas d’une association publique de fidèles, mais d’une entité érigée par le Saint-Siège, par le biais du Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, avec personnalité juridique publique. Le pape a également donné une « feuille de route » au renouveau charismatique, dont le premier article est de partager avec tous, dans l’Église, la grâce du baptême dans l’Esprit Saint.
Quelques liens pour compléter ce bref parcours :
fraternitepentecote.fr/2020/05/06/les-encouragements-des-papes/
fraternitepentecote.fr/2020/04/11/jubile-dor-du-renouveau-a-rome-a-la-pentecote-2017/
Références
[1]Humanae salutis, 23. Cité par Damian Stayne, qui a repris les premiers mots de cette prière pour le titre de son livre sur son ministère de guérison, Renouvelle tes merveilles ; éd. Emmanuel, EdB, 2019. [2]Patti Gallagher Mansfield, Comme une nouvelle Pentecôte. EdB, Pneumathèque. Réédition 2016, p. 86. [3]Cardinal Suenens, Une nouvelle Pentecôte. DDB, 1973. [4]Bulletin de l’ICCRS, volume XXII, n° 2, mars-avril 1996.
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