Le mystère de l’Omer – 50 jours entre Pessah et Shavuot

Parce qu’il n’y a qu’un pain… 

par Marie-Hélène Martin

Rassemblement national : embrassades, joie des retrouvailles ! pique-nique paroissial : rires, surabondance des victuailles ! mais qu’est-ce qui fonde ces liens, au-delà de nos affections et de nos rituels, et après ce confinement ?

A mesure que notre société s’atomise, que les familles se dissolvent, que les solidarités traditionnelles se perdent, nos groupes de prière apparaissent comme des lieux de communion fraternelle où l’on vient chercher un peu de chaleur humaine ; mais est-ce que nous nous gargarisons de ces grands mots de « fraternité », de « communion », ou bien est-ce que nous en mesurons l’insondable richesse de sens spirituel ?

Ne pas se tromper de solidarité

Méditant sur l’histoire du peuple d’Israël, nourri de la manne au désert, et néanmoins soumis à la tentation de puiser à d’autres sources, saint Paul , dans le chapitre 10 de la 1e lettre aux Corinthiens, met en garde les premiers chrétiens contre des risques de confusion. Il pose clairement l’antagonisme entre la communion au Corps et au Sang du Christ, et les repas sacrés des païens, « communion avec les démons » (v. 20). Certes, il faut resituer cette exhortation dans son contexte historique : dans le monde gréco-romain, il n’y avait pas de consommation de viande sinon en lien avec les sacrifices offerts aux dieux païens, aux idoles ; pas de boucherie « laïque », en quelque sorte. Comme Paul le développe dans la suite du chapitre, un chrétien sûr de sa foi ne court aucun risque personnel à consommer de telles viandes : la viande, c’est de la viande, et les idoles n’ont aucune existence réelle. En revanche, il fait courir un risque à tel de ses frères, moins assuré, qui le verrait si j’ose dire « manger à tous les râteliers », et n’y comprendrait plus rien. C’est donc par respect et sollicitude pour ses frères, par souci de préserver l’unité de l’Église, que Paul recommande de s’abstenir des nourritures « païennes ». « Parce qu’il n’y a qu’un pain, à plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous nous participons à ce pain unique. » (v. 17)

Le repas sacré dans la première Alliance

Prendre le repas en commun, c’est depuis l’aube des temps pour l’humanité un rituel qui dépasse de loin le strict besoin alimentaire. Le repas partagé, lieu et temps de la convivialité, soude les groupes humains ; il fait toujours l’objet de prescriptions précises dans les différentes cultures ; mais il est aussi chargé d’une forte dimension spirituelle. Dans la première Alliance, le Deutéronome revient à plusieurs reprises sur les consignes qui entourent le repas sacré. Il doit se tenir au lieu de la Présence, lieu choisi par Dieu lui-même ; il est l’occasion d’une réjouissance collective dont personne ne doit être exclu, pas même l’étranger ; il célèbre dans l’action de grâces la bonté du Seigneur pour son peuple, qui lui offre, pour le fêter, ce qu’il a reçu de Lui. On mange, on chante, on danse, « en présence de Dieu » [1] ; la communion « horizontale » du peuple uni dans la liesse se double de l’échange « vertical », de l’offrande dans laquelle « chacun donne à la mesure de la bénédiction » qu’il a reçue du Seigneur [2].

Le pain unique

Mais dans la nouvelle Alliance, scellée par le Sang du Christ, une forme plus intime de communion avec Dieu nous est offerte, dans cet « unique pain » et cette « unique coupe » de l’Eucharistie. Les paroles insoutenables que le Christ a prononcées : « le pain que je donnerai, c’est ma chair » [3] fondent ce nouveau repas sacré où Dieu n’est plus seulement présent : Il se donne Lui-même en nourriture « pour la vie du monde ». Mais en prenant part à ce repas, nous retrouvons les deux dimensions de l’adhésion au Christ, et à lui seul, et de la communion fraternelle : quiconque mange de ce pain est un avec le Seigneur, mais par lui, il est un avec tous. Quiconque mange de ce pain devient, réellement, membre du Corps du Christ, solidaire de tous les autres membres, et il est appelé à se faire à son tour pain pour le monde. Là comme ailleurs on ne peut dissocier les deux versants de l’unique commandement, dans lequel sont liés amour du Seigneur et amour du prochain [4].

« Soyez étroitement unis »

Oui, dans la joie de nos retrouvailles, de nos agapes, il y a bien plus que les liens humains tissés entre nous au fil des rencontres ; il y a une communion dans l’Esprit [5] qui nous constitue en un seul Corps. Notre recherche passionnée de l’unité, en dépit des divisions héritées de l’histoire des Églises, est motivée par la nécessité de restaurer sans cesse l’intégrité de ce Corps, « parce qu’il n’y a qu’un seul pain » ! Réjouissons-nous de toutes les occasions qui nous permettent de renforcer notre communion fraternelle, et prenons part au festin de l’Agneau, pour mieux inviter ceux qui ont faim à venir se rassasier « du blé, du vin nouveau, de l’huile fraîche », pour que leur solitude se change en partage, et leur deuil en allégresse [6] !

 

 

 

 

[1] Dt 16, 11 par ex.

[2] Dt 16, 17

[3] Jn 6, 51

[4] Mt 22, 37-40

[5] Ph 2, 1

[6] Jér 31, 12-13

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